Il s’agit d’une interview prévue pour le « Courrier », Genève, mais qui a été censuré. L’auteur, à l’époque un esprit libre, actuellement il occupe un poste sérieux, et ne veut pas être nommé.
Pourquoi veut-on à tout prix des enfants obéissants ?
Valais•. Un enfant docile est un enfant bien éduqué. La psychologue libertaire Gerda Fellay s’insurge contre cette pédagogie et prône le partenariat.
Dans la vieille ville bourgeoise de Sion consulte la psychologue libertaire Gerda Fellay, dont les thèses et les compétences dérangent. Cette femme de cinquante-cinq ans, qui en paraît vingt de moins, est engagée depuis sa jeunesse dans le combat social. Née au Danemark d’un père polonais persécuté par les Russes puis par les Nazis, elle a subi comme enfant la violence de son père et la dureté du contexte de la dernière guerre. A quarante ans, elle décide d’entamer une formation de psychologue. Titulaire d’un doctorat de l’Université de Neuchâtel, elle est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages dont « Education et vie active ». Directrice des services de consultation de l’Association Jeunesse Parents Conseils, Gerda Fellay défend aujourd’hui une pédagogie inspirée des théoriciens libertaires ou anarchistes tels Pierre Ramus ou Francisco Ferrer. Tentant de donner plus d’autonomie et de place à l’enfant, elle remet en cause l’éducation traditionnelle qu’elle juge basée sur la violence et l’obéissance traumatisante à l’autorité. Gerda Fellay reçoit fréquemment des lettres d’insultes et subit des pressions constantes tant en Valais qu’à Lausanne où elle consulte également. Rencontre d’une « psy » qui revendique le contrat libre et la non-violence dans l’éducation.
Gerda Fellay, pourquoi êtes-vous si convaincue par la pédagogie libertaire, il y a assez peu d’expériences qui ont perduré ?
Il est difficile que ces expériences durent dans une société basée sur l’obéissance et la discipline. Ma pratique de psychologue m’a convaincue du bien-fondé de cette pédagogie. J’essaie de former les familles pour que leurs membres soient le moins violents possible. On n’a pas besoin de forcer un enfant pour qu’il devienne coopératif. C’est le contraire. La contrainte tue la nature sociale de l’enfant. En principe ce sont les parents qui ont le plus de difficultés à laisser le bâton ou le sceptre.
Avez-vous été éduquée de manière traditionnelle et autoritaire ?
Mon père avait vécu la guerre deux fois. Il était fils d’un partisan dans l’Ukraine polonaise contre les Russes blancs. Ayant vécu beaucoup de violence lui-même, il était malade de la violence. Il était très colérique et ne se contrôlait souvent plus. Mais cela restait une violence verbale, il ne nous a jamais battus. Nous étions terrorisés. Je suis devenue très oppositionnelle dans mon enfance. Je me suis dit que plus jamais je ne me laisserais traiter ainsi.
Il y a tout le processus de culpabilité qui entre en jeu ?
On croit que si on le contraint pas, l’enfant va devenir sauvage parce qu’on pense qu’il est d’une nature sauvage. Les penseurs libertaires comme Pierre Ramus ont vu que c’était faux bien qu’il ne disposait pas encore des avancées de la psychologie. On peut s’associer librement sans la violence.
La religion catholique base la paternité humaine sur le schéma de la paternité divine et énonce que le respect filial se révèle par la docilité et l’obéissance véritables. Vous posez souvent dans vos livres la question du pourquoi de l’obéissance et de la docilité ?
L’idée est que si on ne brise pas la volonté de l’enfant avant sa deuxième année, on laisse libre cours au diable dans l’enfant. Pour être bons parents il faut briser la volonté de l’enfant. C’est ce que l’on appelle dans un langage scientifique, l’âge où l’enfant dit non. Mais il ne faut pas croire que dans les milieux scientifiques c’est différent. Pour être bons parents, il faut que l’enfant devienne docile avant sa deuxième année autrement il est perdu.
Vous présupposez au contraire que l’homme naît bon ?
L’homme est social de naissance. Vous avez vu un bébé qui sort du ventre de sa mère ? Il a quelques réflexes c’est tout. Si on ne le soigne pas, il va mourir. Comment peut-il être méchant ce petit bout d’homme ?
Que provoque selon vous une éducation autoritaire ?
La déresponsabilisation de toute une génération de jeunes qui n’ont plus envie de rien faire, il faut les contraindre à agir. L’école, par exemple, c’est une obligation, pas un privilège ou un plaisir.
Certains pourraient objecter qu’on vit dans un monde violent et qu’il faut préparer l’enfant à se défendre dans ce monde ?
Réfléchissez bien à l’enfant qui a été violenté, c’est un enfant qui a peur. Il ne peut pas se défendre. Un enfant qui a été respecté dans son intégrité va demander pourquoi on le tape ou l’insulte. Au contraire, c’est la non-violence qui est l’arme la plus forte contre la violence.
On dit souvent que l’enfant a besoin de cadres de référence pour se construire ?
Ce cadre de référence se transmet comment ? Par ce que les parents disent ou par ce qu’ils font. L’enfant voit déjà qu’il y a souvent deux mesures. L’enfant sait très bien que c’est le plus fort qui a raison et qu’il va régner. C’est un cadre de référence où il faut toujours se soumettre et attendre de pouvoir prendre le dessus pour violenter l’autre. C’est quoi ce cadre de référence ? Ce n’est pas la famille qu’il faut mettre en cause mais c’est surtout les scientifiques, les psychologues qui n’ont pas véritablement réfléchis par rapport à leurs propres valeurs. Je dirais que c’est l’autoritarisme sous une forme scientifique.
Vous présupposez que l’enfant est capable de se donner ses propres lois ?Ne faut-il tout de même pas le guider jusqu’à l’âge de raison ?
C’est un être humain, il a tout pour être autonome. Il est l’enfant d’une mère, c’est naturel. Mais parce que l’enfant est petit et fragile, c’est très dangereux de le forcer. Entre adultes nous pouvons argumenter. Il faut être très respectueux des enfants. Les enfants les plus petits sont les plus punis et les plus battus. On pense que dans la première année l’enfant ne remarque rien mais c’est là que sont posées les bases pour son référentiel. Ensuite, tout ce qu’il vit est filtré par ce qu’il a vécu. Il ressent un sentiment de dépendance.
Quel serait l’éducateur idéal ?
Celui qui n’est pas sûr de tout savoir, qui est prêt à se former dans le sens d’une formation sur soi. Qu’il accepte d’être condamné à échouer parce qu’il ne pourra pas bien faire avec son vécu dans une telle société.